Le devoir de mémoire est un défi au temps, en même temps qu’aux frontières. Il est heureux que tant de chefs d’Etat soient venus fouler les plages de Normandie. Ils n’ont pas manqué de ressentir que gouverner c’est aussi être dépositaire de la condition humaine.
Présent lors des commémorations du Débarquement, Eric Simon a longuement fureté comme à son habitude avant d’écrire un billet, publié ci-dessous, à l’intention des Français du Royaume-Uni.
Une occasion de saluer une nouvelle fois son talent de conteur, tout imprégné de sa passion pour l’histoire et le cinéma, sachant comme personne jouer avec notre sensibilité, saisir le pittoresque ou zoomer sur un détail.
Je rappelle qu’Eric Simon est l’auteur “Londres, au fil de la France libre”, un ouvrage qui nous fait partager le quotidien de ces Français libres de Londres durant la guerre (lire : “Signature du livre d’Eric Simon, « Londres au fil de la France Libre », le 25 septembre 2013” du 12 septembre 201).
Le Fureteur à Omaha Beach…
Grâce à ma retraite, je viens d’assister aux commémorations du 6 juin 1944, date charnière pour notre liberté. Contrairement au temps du débarquement, il faisait beau et chaud. Coups de soleil à l’appui !
Le 5 juin, alors qu’un orage nocturne frappait les marais autour de Sainte-Mère-Église, je songeais aux fantômes des premiers parachutistes américains qui tombaient du ciel nuageux. Le visage noirci au charbon, dotés d’un équipement lourd, la mitraillette Thompson prête, les gars du Texas ou de Virginie, sautaient par une nuit noire. Ils avaient à peine vingt ans. La grande aventure du jour le plus long commençait. Aujourd’hui il en reste bien peu, mais ce fut un vrai bonheur de leur serrer la main, de boire des bières avec eux et de les remercier. Ils s’appelaient Erik, Don, Frank, Ernest, Jimmy ou Sam. De la France, ils ne savaient rien…À Sainte-Mère, ils tombèrent dans des jardins, comme Robert Murphy. La voilure du parachute de John Steele s’accrocha au clocher de l’église. Un autre finira dans un puits. Ils faisaient partie des 6000 éclaireurs qui avaient pour mission de sécuriser le front.
Dans une aube glaciale, les premières péniches attaquaient la mer devant Omaha et Utah Beach. En à peine une heure, la mer fut rouge du sang des gamins de la libre Amérique. Chez eux, ils jouaient au Baseball, applaudissaient Laurel et Hardy. Ils fumaient des Lucky et des Camel, voir des cigares King Edward. Comme le montre si bien Spielberg dans “Il faut sauver le soldat Ryan”. À Omaha me revient le sourire de Samuel Fuller, futur géant d’Hollywood (Le Jugement des Flèches, Chien Blanc, Au-delà de la gloire, Le Démon des eaux troubles etc…). En 1944, Sam avait vingt-sept ans. Nul ne saura montrer les horreurs de la guerre mieux que lui. Il la détestait la guerre. J’eus la chance de le rencontrer jadis et de parler avec lui. Lorsqu’il revenait sur la plage d’Omaha, il se contentait de fixer l’horizon. Il répétait souvent : “Il est presque impossible de montrer la guerre sur un écran blanc…Ce ne sera jamais assez réaliste…”
Et puis, au moment où les gamins de la Big Red One s’écrasaient sur le sable, plus loin, à Ouistreham débarquaient les 177 de Kieffer, de braves petits Français qui retrouvaient leur pays. Ailleurs, sortait d’un nuage de fumée, le cornemuseux écossais Bill Mullin, marchant devant Lord Lovat et ses commandos, sur Pegasus Bridge. À la Pointe du Hoc, les Rangers prenaient les batteries allemandes après avoir escaladé les falaises. Et, sur une barge, le photographe Robert Capa immortalisait la journée avec son Leica.
Soixante-dix ans plus tard, les bourgs normands sont en fête, les camps d’amateurs de militaria fleurissent partout. Les Jeeps filent sur les routes étroites bordées de haies. Un Dakota rase le toit des maisons. De jeunes militaires américains, filles et garçons, sont assis aux terrasses des bistrots. Américains, Anglais et Allemands écoutent côte à côté l’appel aux morts. Tout le monde se souvient des foules enthousiastes qui accueillaient les libérateurs. Le Calva et le cidre sont de retour avec les larmes, les saucisses grillées et le soulagement de savoir que grâce à L’Europe rien de tel ne pourra plus se reproduire. Je ne compte plus les anecdotes que les fermiers m’ont raconté. En 1974, un paysan sera tué en labourant par une bombe toujours active. Un autre, en 1998, trouvera un casque rouillé et une plaque de matricule qui lui permettra d’écrire à une famille aux USA. À Utah, dans ce beau soir de juin, je verrai des jeunes femmes jeter une rose à la mer en souvenirs de toutes ces résistantes qui ont aidé au succès du Jour J. Neuf cents parachutistes sauteront des gros C47 dans un ciel d’azur. Chacun voudra toucher son vétéran et lui rappeler que, comme le chante Michel Sardou, si les Ricains n’étaient pas là, il se pourrait “qu’on soit tous en Germanie à saluer je ne sais qui…”
Certes, les grands de ce monde, formule consacrée, ont déposé gerbes et médailles au pied des stèles, mais le plus fort moment de ces journées restera l’image d’un vieux qui essaie de sourire. Devoir de mémoire sera notre devoir !
De l’enfer de feu et de sang à un beau soleil couchant, il y a parfois bien peu de distance !
Eric Simon
0 Commentaire
Publiez votre commentaire