« Si vous voulez changer le résultat des élections, au moins faites-le discrètement…», a glissé un élu de l’opposition au directeur de cabinet de la ministre Hélène Conway, lors d’une session de la Commission des lois de l’AFE, il y a quelques jours.
En voilà un qui a tout compris.
Rappelons que la zone Europe du Nord regroupe 9 élus au sein de l’AFE, Assemblée des Français de l’étranger : 6 pour le Royaume-Uni, 1 pour l’Irlande et 2 pour la Scandinavie et les Etats Baltes.
Pour mémoire, en 2006, les électeurs de cette zone avaient élu 6 conseillers de droite et centre-droit, contre 3 conseillers de gauche.
Suite aux élections législatives et présidentielles de 2012, on observe qu’une majorité de gauche émerge dans tous les consulats de l’Europe du Nord, à l’exception de Londres qui représente 80% de l’ensemble des électeurs !
Quelle est la manœuvre politicienne amorcée pour résorber l’influence de Londres depuis quelques semaines et dont le point d’orgue est le projet de réforme de l’AFE discuté en ce moment au sénat ? (lire : “AFE : Qui dit réforme précipitée, dit réforme bâclée !” du 11 mars 2013)
1er temps : Nettoyer la liste de Londres
L’impératif est de faire baisser par tous moyens le poids de la circonscription de Londres (Angleterre, Pays de Galles et Irlande du nord).
Ainsi, 5.672 électeurs ont été radiés au motif de “départ avéré” au 31/12/12. C’est l’équivalent de toute la circonscription d’Ecosse, soit près de 5% de la liste !
Le consulat a déclaré que «tous auraient été contactés par téléphone et près de la moitié auraient laissé de faux numéros. L’autre moitié a fait l’objet d’une étude approfondie sur la liste d’émargement.»
Seules les absences de réponse au courrier du consulat et de vote en 2012 ont justifié leur radiation de la liste des électeurs. J’ai fait remarquer sans succès que rien ne prouvait leur départ de Londres.
2ème temps : Création des conseillers consulaires
Jusqu’à présent, l’électeur élisait directement son représentant au sein de l’AFE.
Le projet de réforme prévoit que ce seront les conseillers consulaires qui le feront à sa place !
Avant :
Electeurs → Conseillers à l’AFE → Sénateurs
Les conseillers de l’AFE étaient donc élus au suffrage direct et ils constituaient le corps électoral pour élire les sénateurs des Français de l’étranger
Après :
Electeurs → Conseillers consulaires → Conseiller à l’AFE
…………………………………………..→ Sénateurs
Après la réforme, les nouveaux conseillers consulaires vont à la fois élire les conseillers à l’AFE et les sénateurs, d’où leur appellation de “grands électeurs” (voir le tableau ci-dessous).
Exemple au Royaume Uni :
Avant : 6 conseillers à l’AFE
Après : 12 conseillers consulaires (9 pour Londres et 3 pour l’Ecosse).
Ces 12 conseillers consulaires feront partie du collège de 28 conseillers consulaires d’Europe du nord qui élira en son sein les 8 conseillers AFE pour l’Europe du nord. Il est donc impossible de déterminer à l’avance le nombre d’élus à l’AFE pour le Royaume-Uni.
3ème temps : Création de circonscriptions favorables (grâce à l’apparition des conseillers consulaires)
L’idée directrice du projet de réforme de l’AFE est de multiplier les circonscriptions favorables à la gauche. Les chiffres du tableau ci-dessous sont éloquents.
Exemple au Royaume Uni : Création de la circonscription d’Ecosse
. L’Ecosse recevra 3 conseillers consulaires, contre seulement 9 pour Londres, soit un rapport de 1 à 3, alors que Londres compte 22 fois plus d’électeurs !
En effet, l’Ecosse (Edimbourg et Glasgow) représente 3,44% du corps électoral de l’Europe du Nord, contre 77,42% pour Londres
Pourquoi la nouvelle circonscription d’Ecosse bénéficiera-t-elle de 25% du nombre de conseillers consulaires (soit 3) sur un total de 12 pour le Royaume-Uni (les 9 autres allant à Londres) ? Pour diluer le poids de Londres qui vote majoritairement à droite, tandis que l’Ecosse a le coeur plutôt à gauche. On peut donc prévoir que l’Ecosse obtiendra 2 conseillers consulaires de gauche, contre un seul de droite.
Exemple en Irlande : Surreprésentation de la population
. L’Irlande (Dublin) représente 5,76% du corps électoral d’Europe du Nord, mais disposera de 4 conseillers consulaires !
. D’un côté l’Irlande profitera de 4 conseillers consulaires pour 9000 inscrits. De l’autre côté, Londres disposera de 9 conseillers consulaires pour 120.000 inscrits !
Un tel déséquilibre saute aux yeux et se justifie encore par la volonté de diluer le poids de Londres en Europe du Nord, puisque l’Irlande vote majoritairement à gauche, tout l’inverse de Londres.
Exemple avec les pays baltes : intégration électoraliste de la Finlande
Les trois états Baltes votent à droite, tandis que la Finlande vote majoritairement à gauche. Fort de ce constat, il n’est évidemment pas question d’attribuer un conseiller consulaire à chaque pays. Pour le coup, oubliée l’excuse de proximité ! La réforme va regrouper les quatre nations sous une même circonscription électorale dotée de 3 conseillers. Puisque les Finlandais sont les plus nombreux, il parait entendu que 2 conseillers devraient revenir à la gauche, contre un seul à la droite.
Exemple en Scandinavie : multiplication des conseillers consulaires
Même manœuvre du côté de Oslo, Stockholm et Copenhague, puisque les pays scandinaves auront désormais chacun 3 conseillers consulaires, très certainement dans la proportion de 2 élus à gauche, contre 1 élu à droite, au regard des dernières élections. Auparavant, ils ne formaient qu’une seule circonscription avec 2 conseillers AFE à se partager.
Résultat : Londres est totalement diluée !
Londres (Angleterre, Pays de Galles et Irlande du nord) qui regroupe les trois quarts des électeurs d’Europe du nord (77.72%) n’aura que 32% du nombre des conseillers consulaires de l’Europe du Nord, soit un total 9 sur 28 !
Au regard de son volume de population, une approche logique et de bon sens aurait conduit à lui accorder le double de conseillers consulaires, au moins.
Par ailleurs, fort de 82% des inscrits, le Royaume-Uni (Londres + Edimbourg) comptait 6 élus à l’AFE en 2006, soit 66% de la représentation démocratique d’Europe du Nord. A l’avenir, et par le jeu pervers des conseillers consulaires, le Royaume-Uni ne pèsera plus que 42.8% de la représentation populaire dans la zone Europe du Nord, soit 12 conseillers sur 28 au total.
Prévision pour la gauche : entre 15 et 17 conseillers consulaires de son camp sur 28, ce qui permet d’envisager l’élection indirecte de 5 conseillers AFE à gauche, contre 3 à droite pour la zone Europe du Nord. Le rapport inverse de celui suffrage direct de 2006.
Beau renversement et chapeau bas à l’équipe de Mme Conway !