Lorsqu’on vient sonner à votre porte à l’aube, c’est rarement bon signe. Vous risquez de trouver, sur votre paillasson, quelques spécimens de cette France qui se lève tôt : les agents du fisc et les gendarmes. Sous le regard interloqué de votre famille, il faut d’abord faire bonne figure et se montrer rassurant. Il doit s’agir d’un malentendu. Du reste, vous avez la conscience tranquille et vous avez toujours prôné le respect vis-à-vis de l’autorité publique. Mais, petit à petit, et c’est tout naturel, vous allez vous sentir envahi par un sentiment d’indignation, surtout au moment où les “Men in Black” décident de monter à l’étage pour fouiller la chambre de vos enfants.
Catherine Fournier, maire de Frethun, fut “victime” d’un contrôle fiscal dont elle a fait le récit devant une assistance médusée
Catherine Fournier a vécu cette expérience, comme tant d’autres entrepreneurs installés en France et qui ont des activités à l’international. Elle a accepté de témoigner en préambule de l’intervention d’Alain Marchand, lors du Red Carpet Day, à Paris.
Catherine est maire de Frethun, une petite commune du Pas-de-Calais, depuis 1995. Elle est connue pour organiser chaque année en octobre, dans sa ville, les « Rencontres jobs transfrontaliers » où des entreprises du sud-est de l’Angleterre, mais aussi de Belgique ou de la Côte d’Opale viennent proposer des centaines de jobs ou de stages.
Catherine est aussi chef d’entreprise qui, avec son mari, a voulu étendre ses activités en Angleterre, à quelques minutes de Frethun à vol d’oiseau. Mal lui en a pris. L’établissement en question n’a pas fait l’objet d’un redressement sur la notion “d’établissement stable”, mais l’Administration ne s’est pas privée d’effectuer un contrôle sur ses autres sociétés.
Ne rentrons pas dans les détails d’une affaire pour laquelle elle fut totalement blanchie.
Le souvenir, lui, reste indélébile. Pour elle-même, pour ses enfants, ses voisins, ses salariés, disons tous ceux qui l’ont vue passer sous petite escorte.
Epilogue de l’histoire. Catherine fut invitée à se rendre sur le parking de l’administration fiscale pour la restitution de ses documents. N’y voyez pas une ultime brimade ! Non. Il est simplement plus facile de transférer des cartons de documents d’un coffre de voiture à l’autre. Des documents remis en vrac, pèle mêle. Debout devant ses cartons, taraudée par une envie de démarrer en trombe et de mettre un point final à ce mauvais feuilleton, Catherine a pourtant dit non. Elle a exigé et obtenu de l’Administration le tri des pièces saisies.
Le sourire et l’humour de Catherine ont empêché l’assistance de se congeler d’anxiété. Les applaudissements n’en furent que plus chaleureux et nourris lorsqu’elle céda la tribune à Alain Marchand, expert en fiscalité internationale.
Sur le plan des libertés publiques, Alain Marchand est clair : “il y réellement péril en la demeure” pour le contribuable. Et les atteintes aux libertés individuelles se font de plus en plus “violentes” souligne celui qui fut, lui-même, inspecteur des impôts pendant dix ans, dans les années 70.
L’explication d’une telle dérive relève en premier lieu de “l’apathie complice de tous les législateurs successifs depuis une quinzaine d’années”, puis, s’ajoute l’évolution technologique et l’ouverture des marchés qui ont sérieusement compliqué la tâche du fisc. En effet, à l’époque d’internet, l’impôt repose toujours sur le principe de la territorialité, sanction pénale à la clé. Face à la dématérialisation, une tendance de fond conduit à une sévérité accrue des contrôles, prévient Alain Marchand.
Enfermé dans sa paranoïa, le fisc finit par “rendre douteux ce qui est légal”, explique Alain Marchand, avocat fiscaliste international
De plus en plus d’exemples, dramatiques et ubuesques, montrent que cette tendance lourdement répressive vire carrément à la “paranoïa fiscale”.
A côté des procédures traditionnelles de droit commun ont émergé des procédures « coup de poing » (droit de visite, flagrance fiscale), en même temps qu’un renforcement des moyens (police fiscale) et des sanctions.
Consterné, Alain n’hésite pas à faire un parallèle avec la “loi des suspects” votée le 17 septembre 1793 sous la Terreur ! Tous les suspects devaient être immédiatement arrêtés. Le texte étendait la qualité de suspect à “ceux qui n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la révolution” ! Bref, tout le monde, potentiellement.
Ce climat anxiogène est funeste pour la vie des affaires, puisqu’il “rend douteux ce qui est légal”, stigmatise Alain.
Un exemple, basé sur un fait réel : vous avez créé une entreprise au Royaume-Uni et vous rentrez le week-end en France pour retrouver votre famille. Tout est absolument légal dans votre vie. Mieux vaut ne pas transporter un ordinateur portable qui pourrait prouver que vous gérez, de fait, votre organisation anglaise depuis la France…
Seule la poursuite de la construction européenne pourra restaurer nos libertés, du moins on peut l’espérer. Pour Alain Marchand, il ne faut rien attendre de gouvernements qui justifient leur pouvoir inquisitorial par une “connotation moralisante” qui fait mouche dans l’opinion publique, à fortiori en période de crise.
De nombreux témoignages de harcèlement fiscal à l’encontre d’entrepreneurs travaillant à l’international depuis la France me sont parvenus ces derniers mois. J’ai évoqué cette question lors de mes rencontres, en septembre dernier à Bercy, avec Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, puis à l’AFE avec Fleur Pellerin, ministre des PME. Les deux m’ont répondu que le ministre du Budget devait faire rentrer dans les caisses de l’état plusieurs milliards d’euros “pris sur la fraude fiscale”.
L’administration fiscale met sous pression nos entrepreneurs exportateurs car elle ne peut contrôler l’intégralité de leurs opérations situées à l’étranger.
Le Red Carpet Day a permis de prendre conscience de cette réalité. Merci à Catherine Fournier et Alain Marchand d’avoir décrit cette situation avec objectivité.