C’est le roman vrai d’un Français qui s’est expatrié… dans les cales d’un gigantesque bateau de croisière, tout heureux d’avoir trouvé un travail.
Slimane Kader nous raconte son histoire, absolument édifiante, avec la faconde d’un jeune de Seine-Saint-Denis qui force le trait pour extraire la substantifique drôlerie de la situation la plus banale. Le voilà donc embauché sur un bateau de croisière, lui, le jeune Français originaire de Kabylie : « Dans ma famille, personne n’est allé plus loin que Torcy ou Bab El Oued. Je suis une sorte de Christophe Colomb ! Un guerrier ! Un super-conquérant ! »
Slimane a rédigé tout son roman sur ce ton désinvolte et imagé qui déroute au premier abord. Puis, on s’y accoutume et on se rend compte à la longue qu’il s’agit d’un véritable style manié avec subtilité, où chaque phrase fait mouche. Politiquement correct s’abstenir.
Puisque sa “daronne aurait fait portnawak” pour qu’il travaille, elle lui a avancé l’argent du billet d’avion pour qu’il gagne Miami où son bateau est à quai. Derrière le hublot, les nuages et les rêves défilent : « Chemise blanche, bermuda blanc, chaussettes de footballeur, mocassins de mac portugais, casquette de Capitaine Igloo, chihuahua en ambiance sonore… ». Il va tomber de haut.
Il se retrouve dans une ville flottante transportant 8000 passagers. 6000 ont vue sur la mer : les touristes américains en surpoids – que Slimane surnomme les “fatties à crocs”. 2000 vivent sous la mer : les employés qui ne voient jamais le jour, ne descendent jamais aux escales et s’entassent dans des cabines minuscules et poisseuses. Ces esclaves modernes sont les Chinois aux cuisines, les Indiens à la buanderie, les Mauriciens au service, les Chicanos au nettoyage…
Dans cette plèbe, il existe aussi des hiérarchies. Slimane démarre au plus bas de l’échelle dans le rôle de « joker » : il sert de bouche-trou et se trouve affecté aux tâches les plus ingrates, comme massacreur de cafards ou déboucheur de tuyaux.
Harassé, brisé, il décide dans un sursaut d’apprendre les rudiments d’anglais pour survivre d’abord, puis atteindre le soleil qui brille sur les ponts.
Surfant sur la face cachée du tourisme de masse, « Avec vue sous la mer » est plus qu’une comédie noire, c’est un témoignage qui en dit long sur notre époque.
Slimane travaille toujours sur son bateau de croisière, voguant en mer des Caraïbes. Il fuit toute publicité.
Voilà un Français de l’étranger qui gagne pourtant à être connu !
Slimane Kader – Avec vue sous la mer – Allary Editions
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