Intervention au nom du groupe Union centriste, après la déclaration du gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, portant sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe.

Le gouvernement était représenté par François Bayrou, Premier Ministre ; Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères ; Sébastien Lecornu, ministre des Armées ; Patrick Mignola, ministre chargé des Relations avec le Parlement ; Thani Mohamed-Soilihi, ministre délégué chargé de la Francophonie et des Partenariats Internationaux.

VERBATIM de mon intervention

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Messieurs les Ministres,
Mes chers Collègues,

Je tiens tout d’abord à vous remercier, Monsieur le Premier ministre, pour vos propos auxquels nous souscrivons sans réserve.

Souvenez-vous, il y a tout juste 5 ans, notre sidération en observant nos rues vides et en apprenant un nombre de morts croissant chaque jour. Beaucoup ont éprouvé ce même sentiment de sidération vendredi en voyant, en direct, le président Trump reprendre les éléments de langage de M. Poutine pour humilier le Président Zelensky, dans le Bureau Ovale de la Maison Blanche. Le président américain a reproché au président ukrainien d’avoir participé à une chasse aux sorcières contre Poutine et aidé ses opposants politiques démocrates à en faire de même contre lui.

Ses propos insultants contre la politique internationale des Etats-Unis d’Amérique de ses prédécesseurs Joe Biden et Barack Obama atteignent par ricochet tous les alliés de l’Amérique qui font front commun pour défendre un système de valeurs universelles. Les dirigeants des pays alliés de l’Amérique, de l’Europe au Canada, ont réagi comme un seul homme pour apporter leur soutien au président Zelensky. Tandis que M. Orban et d’autres partisans de M. Poutine célébraient les propos de Trump qui font passer l’agressé pour l’agresseur.

Renvoyé comme un serviteur, le président Zelensky est sorti de l’épreuve avec dignité. Avait-il d’autres choix ? Que lui était-il reproché ? D’avoir fait face, sans ciller ? D’avoir défendu les intérêts du peuple ukrainien, bien sûr. Il porte la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour défendre leur patrie et celle des victimes de la destruction aveugle du régime russe mais pas seulement.

Depuis 3 ans, l’Ukraine défend les valeurs portées tant par l’Europe que tous les pays qui se revendiquent de nos valeurs. A commencer par les Etats-Unis d’Amérique. « C’est une immense honte que Trump ait effectivement changé de camp dans la guerre russo-ukrainienne en rejoignant la Russie. Les États-Unis se sont alignés non pas avec nos alliés de l’OTAN, mais avec la principale menace historique de l’OTAN : Moscou. Il est impensable qu’un président américain puisse agir ainsi. » Ce n’est pas moi qui le dis, mais John Bolton, ancien Conseiller à la Sécurité nationale au début du premier mandat de Donald Trump, après avoir été notamment sous-secrétaire d’État sous George W. Bush.

Le Make America Great Again promet donc de se faire au détriment des alliances historiques.
América First est l’incarnation de la politique défendue par les partisans du « Moi d’abord ».
L’Europe s’est constituée pour justement pour tourner le dos à la politique du moi d’abord qui a conduit à deux guerres mondiales. Donald Trump répétait dans ses meetings qu’il était capable de mettre fin à la guerre en Ukraine en 24 heures, tout comme M. Poutine pensait qu’il allait prendre le contrôle de ce pays en 3 jours. Trois ans plus tard, la Russie s’épuise et ne paraît pas en mesure de gagner cette guerre, même en faisant appel à des troupes venant de Corée du Nord.

Dans le même temps, l’OTAN a vu la Suède et la Finlande la rejoindre.
Nous voyons trois priorités.
La première : aider l’Ukraine.
La deuxième : faire de l’Europe une puissance militaire.
Et enfin, mobiliser la population.

Tout d’abord, l’Ukraine. Comme notre Président Gérard Larcher l’a fait il y a quelques jours, nous saluons l’action de Nadia Sollogoub, Présidente du groupe d’amitié France – Ukraine.
L’Ukraine défend nos valeurs ; nous ne saurions accepter qu’on lui torde le bras pour un accord de cessez-le-feu qui ne serait qu’un répit pour permettre à M. Poutine de préparer la prochaine offensive.

L’Ukraine n’est pas seule. L’Ukraine ne doit pas être seule.

Si les Etats-Unis se retirent, il sera de la responsabilité de l’Europe de s’y substituer.
La seconde priorité est de réarmer l’Europe pour en faire une puissance militaire mondiale reconnue qui dissuadera la Russie de toute velléité d’attaque.

Le plaidoyer pour une défense européenne exprimé par le Président de la République en 2017 à la Sorbonne apparait désormais à chaque européen comme visionnaire. Cela participe à faire de la France un leader pour organiser désormais ce tournant. La Présidente de la Commission européenne, Ursula von Der Leyen, a dévoilé ce matin le programme ReArm Europe qui pourrait mobiliser près de 800 milliards d’euros. La sécurité de l’Europe est menacée de manière très réelle. J’ai pu l’observer à Tapa, en Estonie. La France y contribue à la sécurité et la stabilité de l’espace Baltique dans le cadre de l’OTAN avec les Britanniques et les Américains, face à des forces russes qui sont situées à quelques kilomètres de là.

Cette nouvelle orientation va nécessairement impliquer de revoir nos priorités budgétaires pour augmenter significativement encore notre budget de défense. Comme l’ont rappelé les présidents Perrin et Kanner « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Le chef d’État-major des Armées ne dit pas autre chose quand il annonce qu’il faut gagner la guerre avant la guerre. Les athlètes ne gagnent pas aux Jeux olympiques sans s’être préparés pendant des années.

Il nous appartient donc aussi de mobiliser la population française sans attendre pour qu’elle puisse être consciente des menaces auxquelles nous sommes tous confrontés. La responsabilité de la sécurité et de la protection d’un pays repose collectivement sur toutes les personnes qui y habitent. Le gouvernement suédois a édité un livret envoyé à tous les habitants de la Suède.
Il est destiné à aider sa population à mieux se préparer pour tout ce qui peut arriver, que ce soient des accidents graves, des intempéries extrêmes, des cyberattaques ou des conflits militaires. Il est écrit que si la Suède est attaquée par un autre pays, ils ne se rendront jamais, et que toutes les informations ordonnant de cesser la résistance sont fausses.
Ce message n’est pas inutile car dans tout pays européen, il y a des politiques qui seraient prêts à jeter le fusil avant même de le porter face à une attaque de M. Poutine.

Les Suédois se préparent déjà à une vie quotidienne qui pourrait passer, du jour au lendemain, sans dessus dessous.

J’ai remis hier, à Londres, copie de ce livret au ministre du commerce extérieur et des Français de l’étranger, Laurent Saint-Martin. Je souhaite vous le remettre également, Monsieur le Premier ministre afin que vous puissiez évaluer par vous-même, s’il ne serait pas pertinent de s’inspirer dès à présent de ces bonnes pratiques.

Vous l’avez dit avec raison, Monsieur le Premier ministre, c’est à nous, Européens, de garantir la sécurité et de la défense de l’Europe. Nos forces armées continentales additionnées à celles du Royaume-Uni, c’est plus de 2,5 millions de soldats professionnels, soit 25% de plus que les forces russes, avez-vous dit hier à l’Assemblée nationale.

L’Europe est une puissance militaire qui s’ignore. Elle doit désormais s’affirmer. Il y a toutefois un principe de réalité. Elle a autant aujourd’hui besoin des Américains que les Etats-Unis ont besoin de l’Europe pour assurer leur sécurité.

J’ai pu aussi le mesurer dans le domaine de la cybersécurité, où les hostilités ont démarré depuis bien longtemps. L’an dernier, pour faire face à l’ampleur de la menace cyber, la Maison Blanche m’invitait à Washington avec une délégation de parlementaires et d’experts français pour prôner la cyber-solidarité.

La brutalité du propos de Donald Trump aura eu des mérites.
Celui de renforcer la solidarité entre les Européens.
L’image de la réunion de Londres ce week-end en atteste.
C’est rassurant, car notre point faible est la fragmentation de notre organisation.

L’État russe est connu pour chercher à utiliser la désinformation afin de nous diviser et d’altérer simplement notre force de résistance. C’est sa façon de chercher à gagner la guerre contre des démocraties sans avoir à utiliser la force militaire. C’est désormais un défi pour tous ceux qui défendent la liberté, la démocratie et les droits humains, à chaque élection.
C’est également un défi pour l’Union européenne.

Jean Monnet a écrit dans ses mémoires, je cite, « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. » Les faits lui ont donné raison par le passé. Je suis persuadé que sa pensée doit nous guider.

Si l’Europe se dote d’une puissance militaire à la hauteur de sa puissance économique, alors cette crise sera surmontée comme toutes les précédentes depuis sa création.

Je vous remercie.