Ce 6 juin, lors du débat qui a suivi la déclaration du gouvernement, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à la politique étrangère de la France en Afrique, je suis intervenu au nom du groupe UC.
Le gouvernement était représenté par Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et Sébastien Lecornu, ministre des Armées.
Verbatim de mon intervention
Monsieur le Président,
Pour comprendre l’Afrique encore faut-il la connaitre.
Je m’y suis rendu 57 fois depuis 2015.
Elle m’étonne à chaque fois.
Je vous livre 3 anecdotes.
Tout d’abord, celle de cet entrepreneur français qui a subi un vol dans sa société.
Il se rend à la police. On le renvoie vers la dame aux balais qui lui communique un nom après avoir utilisé deux balais croisés.
Après vérification sur sa vidéo surveillance, il découvre qu’elle a raison.
Que dire de ce compatriote qui croit son portefeuille volé à son domicile.
Affolée, une personne à son service part précipitamment chez le Marabout qui lui révèle que le portefeuille est à la vue de tous et que personne ne le voit.
Elle rentre avec le message du marabout.
Le portefeuille est retrouvé, une heure plus tard, oublié près de la piscine.
Ou encore ce consul général qui fait venir chaque année un coupeur de pluie pour s’assurer de célébrer le 14 juillet au sec.
Après 2 heures de réception, le coupeur de pluie lui demande s’il peut partir.
Dès son départ, la pluie se met à tomber sur le consulat.
Les esprits cartésiens seront dubitatifs.
Notre consul général ne se fait pas rembourser la prestation par le Quai d’Orsay.
Olivier Leloustre, conseiller des Francais de l’étranger établi depuis 2o ans en Afrique, m’a confié qu’il se refuse à expliquer l’Afrique à quelqu’un qui n’y a pas déjà vécu au moins 5 ans.
On aborde souvent à tort la stratégie française en Afrique par un seul prisme.
C’est une erreur car il n’y a pas une Afrique mais des Afriques.
Chacune a des problématiques bien distinctes même si certaines se recoupent.
Emmanuel Macron a visité 25 pays africains depuis sa première élection en mai 2017, ce qui fait de lui le dirigeant ayant le plus d’engagements diplomatiques avec les nations africaines.
Pourtant, sur le continent africain et plus particulièrement en Afrique de l’Ouest et au Sahel, on nous répète que le sentiment anti-français ne cesse de croître.
Et si c’était une fake news entretenue, illustrant la guerre hybride livrée à la France pour nous affaiblir ?
Nous nous fions trop aux réseaux sociaux animé par les activistes.
Aujourd’hui, les gens les plus crédibles pour la population sont ceux qui parlent le plus, pas ceux qui disent la vérité.
Le mea culpa permanent sur notre passé, dans lesquels des soi-disant « experts » se répandent, est ressenti comme une faiblesse sur ce continent.
Des grandes entreprises françaises sont l’objet de violentes attaques de la part de représentants d’ONG soutenues par leurs concurrents.
Nous avons peut-être perdu une bataille dans la guerre informationnelle l’an dernier au Sahel.
Mais nous n’avons pas perdu la guerre.
Vous avez eu raison Monsieur le Ministre, les militaires de l’opération Barkhane ont été irréprochables. Ils sont notre fierté.
Alors, Anti-français, les Africains ? Alors expliquez-moi, pourquoi les chiffres de demandes d’inscriptions pour étudier en France battent des records en Afrique ?
L’Algérie en est à 53 000. Elle dépasse pour la première fois le nombre de Marocains qui est d’environ 30 000.
Au Togo, après une hausse de 73% sur la période 2016-2021, de 68% sur 2022, près de 40% d’augmentation déjà enregistrée cette année et 8000 demandes attendues.
Un ministre togolais m’a confié que les Togolais de France renvoyaient plus d’argent au Togo que l’aide au développement que nous leur apportons.
Pourquoi donc se détourneraient-ils de nous ?
Dans beaucoup de pays, il m’a été dit : « Je ressens une envie de France !»
Une camerounais m’a dit ce week-end « Lorsque nous avons le partage de la langue, la proximité est plus forte. »
Dans notre inconscient, la France est la plus proche.
Les liens sont forts.
Nos compatriotes installés en Afrique m’ont tous assuré qu’ils ne se sentent pas menacés en tant que français.
Par contre, il est vrai que nous sommes confrontés à une guerre hybride menée contre l’influence de la France et ses intérêts économiques.
Avec quelques euros, on paye un journalier aussi bien pour travailler que pour manifester avec un drapeau russe devant l’ambassade de France.
Le sentiment anti-politique française tout comme le sentiment anti-intérêt français n’est pas seulement alimenté par les puissances étrangères et ses proxys.
Dans plusieurs pays, des personnes surfent sur du néo nationalisme, font de la France le bouc émissaire de leurs difficultés pour s’imposer politiquement.
Ma collègue Carlotti a parlé des apôtres du panafricanisme, allez voir, qui sont derrière.
Ces mouvements populistes gagnent en visibilité.
Lorsqu’ils s’imposent, ils se jettent dans les bras de la Russie, de la Chine, de l’Iran et consorts. On le voit au Burkina Faso et au Mali.
Ils trouvent un écho auprès des acteurs économiques locaux qui en profitent pour faire du dégagisme de nos entreprises et participer ainsi à la prédation de leurs activités.
Récemment la filiale des brasseries Castel a été attaquée à coup de cocktail molotov en Centrafrique (RCA).
On suspecte Wagner.
De nouvelles menaces planent sur cet industriel français emblématique en Afrique qui a fait de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) une marque de fabrique qui fait honneur à notre pays.
Monsieur le Ministre, avec l’annonce de retrait de troupes françaises sur le continent, comment allez-vous défendre nos intérêts économiques et nos entreprises quand elles sont directement attaquées ?
Comment justifiez-vous ce retrait quand on observe une militarisation accrue de la Chine pour consolider ses liens diplomatiques et commerciaux avec le continent ?
Le retrait de Barkhane a fait les affaires des groupes terroristes au Sahel et beaucoup s’en rendent compte dans les pays avoisinants en voyant la menace progresser.
93% des ressources algériennes proviennent du sud algérien.
Pour la première fois depuis 17 ans, le chef d’état-major algérien s’est rendu en France.
Comment analysent-ils la situation sécuritaire au Sahel et envisagent-ils une coopération militaire ?
Le terrorisme islamiste en Afrique est le visage du crime international organisé,
Structuré à l’image des gangs criminels que j’ai observé en Amérique latine. Il se drape dans un militantisme religieux pour légitimer les recrutements.
Pour lutter contre les gangs, au Brésil, des milices ont été créées pour protéger des quartiers. Les habitants doivent alors se plier aux règles de la milice et échangent leur liberté pour obtenir de la sécurité.
En Afrique, certains pays font appel à la milice Wagner qui se paie sur les ressources du pays, à l’image d’une milice mafieuse.
Contrairement à ce que certains prétendent, la France n’abandonne pas l’Afrique.
Il y a 6 mois, j’ai visité l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme près d’Abidjan. Ce centre d’excellence est destiné à appuyer les pays d’Afrique dans la lutte contre le terrorisme.
Le modèle de gouvernance de l’Académie Franco-Ivoirienne est un exemple pour la nouvelle posture de la France en Afrique.
Je veux saluer la réunion, le 11 mai, du premier conseil d’administration international, avec les Australiens, Canadiens, les Pays-Bas, américains…
Le modèle interministériel porté par l’Académie est un exemple nécessaire en Afrique pour éviter que l’anti-terrorisme soit porté uniquement par l’armée avec les risques de dérapages sur les populations civiles.
Notre modèle est innovant et mérite d’être mieux connu.
Combien de pays africains se sont déclarés intéressés par cette initiative ?
Madame la Ministre, la gestion de l’attribution des visas par la France est une cause de frustration observée dans de nombreux pays africains.
Cela conduit à des décisions défavorables à la France.
Par exemple, certaines entreprises ont préféré se fournir en matériel venant d’un autre pays que la France de peur de se faire refuser des visas pour une entrée sur le territoire français et risquer de ne pouvoir former leurs personnels de manière satisfaisante.
Quelles décisions sont prises pour améliorer notre politique d’attribution de visas perçue parfois comme vexatoire ?
En matière d’aide à l’Afrique, il apparait fondamental d’aider les pays de ce continent à s’organiser dans le domaine de la santé.
Pour faire face à la pénurie de sang, il est acheté auprès de donneurs. Contaminé, hépatique, il est inutilisable à 60%.
Concernant les médicaments, afin de lutter contre les produits contrefaits et aider les industriels à servir le continent, pourriez-vous porter l’idée de la création d’une agence africaine du médicament ?
La France porte les valeurs démocratiques.
J’ai personnellement été attristé du renversement du président Roch Kaboré, un an après sa réélection, sans intervenir pour protéger cette démocratie.
Le Somaliland est un état de la corne de l’Afrique qui a déclaré son indépendance en 1991 à l’issue de la guerre civile avec la Somalie, pays actuellement en proie à des conflits depuis plus de 30 ans, qui a des liens revendiqués avec la Russie, comme en atteste la visite récente du ministre somalien des Affaires étrangères à Moscou.
Depuis son indépendance, le Somaliland a su garantir une stabilité politique et des élections de Président au suffrage universel et de deux chambres.
Cinq présidents se sont succédés à la tête du pays depuis son indépendance.
Allons-nous évoluer sur la question d’une prise en compte officielle du Somaliland pour favoriser son développement ou allons-nous continuer à nous limiter aux relations avec le régime de Mogadiscio ?
La France comme nos partenaires africains ont besoin d’une ligne claire, fondée sur le respect mutuel.
Cessons de chercher à nous faire aimer.
Concentrons-nous sur nos intérêts en faisant valoir nos atouts pour nous faire désirer.
Un membre du parlement togolais, l’honorable Alipui l’a résumé ainsi hier, devant moi à Lomé :
Plutôt que « Plus de France », optez pour « Mieux de France ».
Je vous remercie.
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